Article rédigé conjointement avec l'IRD | ![]() |
Après 5 ans d'absence et une alerte lancée début 2014, c’est finalement à la toute fin de l’année 2014 qu’El Niño s’est officiellement déclaré et a continué de se développer au premier semestre 2015 dans l'Océan Pacifique équatorial. En mai, l'intensité est déjà prononcée, notamment près des côtes d’Amérique du Sud et les dernières observations montrent qu'il se renforce encore. Ces éléments et les récentes prévisions conduisent les experts calédoniens de Météo-France et de l'IRD à sensibiliser la population calédonienne quant aux conséquences possibles d'El Niño sur le pays. |
El Niño, observé à plus de 1 °C !
Depuis le début de l'année 2015, les observations montrent que les alizés équatoriaux ont perdu de leur vigueur et qu'ils ont laissé la moitié ouest du Pacifique soumise à de véritables "coups de vent d'ouest". Ces épisodes sporadiques ont étendu vers l'est les eaux particulièrement chaudes du Pacifique Ouest, si bien qu'on assiste depuis mars 2015 à un réchauffement des régions centrales et orientales du Pacifique équatorial. Les températures mesurées à la surface de l'océan dans ces régions sont désormais au-dessus de leur valeur saisonnière normale (de +0,5 °C à +2,5 °C), traduisant un El Niño établi (Figure 1).
Figure 1 : Écart à la normale de la moyenne des températures observées à la surface de l'océan en mai 2015.
En noir les vents d’ouest schématisés.
Source : NOAA Optimum Interpolation (OI) SST V2. Fourniture des données : http://www.esrl.noaa.gov/psd/.
El Niño est tout aussi manifeste lorsqu’on analyse ce qui se trame sous la surface de l'océan Pacifique équatorial. Entre 100 et 200 m de profondeur, les températures sont très supérieures à la moyenne (+4 à 6 °C), ce qui laisse présager un événement potentiellement intense.
El Niño est déjà en train de bouleverser la répartition des pluies sur la région équatoriale de l'océan Pacifique. En phase avec l'extension vers l'est des eaux les plus chaudes, le pôle majeur des précipitations s'est déplacé du bord ouest vers le centre du Pacifique depuis mars 2015. Les images produites par les satellites météorologiques montrent en effet une nette diminution des précipitations sur la Papouasie et une intensification des pluies sur le centre du Pacifique, des Kiribati aux îles Marquises.
Pour le moment, le grand chambardement se limite au Pacifique équatorial, mais avec l'intensification et la persistance du phénomène prévues par les modèles, les effets d'El Niño pourraient s'étendre au-delà de l'équateur, des tropiques jusqu'aux zones tempérées.
Figure 2 : Écart à la normale du cumul des précipitations relevées en mai 2015.
Source : NOAA CPC CAMS-OPI V0208. Fourniture des données : IRI Data Library.
Des prévisions inquiétantes ?
Une majorité des modèles de prévisions saisonnières prévoit qu'El Niño persistera à 90 % de chance tout au long de l'année 2015. C'est ce que montre le graphique ci-dessous où sont tracées, pour 4 modèles de la communauté internationale, les évolutions prévues des réchauffements de la surface de la mer au centre et à l'est du Pacifique. Un écart à la normale supérieure à +0,5 °C reflète des conditions océaniques représentatives d’un épisode El Niño.
Figure 3 : Variation observée du réchauffement océanique moyen dans la boîte Niño 3.4 [5°N-5°S ; 170W-120W] jusqu’en avril 2015 (tiretés bleu) et son évolution prévue par les modèles du CEPMMT (EU), Météo-France (FR), Met Office (GB) et NCEP (USA).
Source et copyright du graphique : ECMWF - Mai 2015 (http://www.ecmwf.int/fr/accueil).
De nombreuses simulations présentées ci-dessus mettent aussi en exergue une franche intensification du phénomène pendant l'hiver austral. Pour certaines, les températures atteintes dans la région équatoriale de l'océan Pacifique sont au moins aussi élevées que celles observées pendant les deux épisodes majeurs du XXème siècle : 1997/1998 et 1982/1983 ! Mais attention, les modèles de prévision, qui reflètent nos connaissances actuelles sur El Niño, sont encore largement perfectibles et certains évènements météorologiques qui détermineront l'évolution ultérieure d'El Niño, comme les coups de vent d'ouest sur l'équateur, ne sont pas prévisibles à long terme. Les évolutions prévues par ces modèles incitent les météorologues à surveiller la situation.
Pourquoi El Niño ne s'est-il pas développé l'année dernière ?
Il y a un an, Météo-France et l’IRD diffusaient un communiqué sur la survenue probable d’un El Niño potentiellement intense durant l’année 2014. Ce scénario était celui privilégié par plus de 75 % des modèles internationaux pour l’été 2014-2015. D’après la majorité de ces modèles, les conditions El Niño auraient dû être établies dès mai. Cela ne s’était finalement pas produit puisqu’un faible El Niño n’a été officiellement déclaré qu’en octobre 2014. Comme nous l’expliquions alors, il arrive que des El Niño débutants s’affaiblissent en avril-mai jusqu’à disparaître lorsque les coups de vents initiaux reflétant une part imprévisible de la variabilité atmosphérique s’arrêtent, sans que l’on comprenne réellement pourquoi. Alors que cette activité s’était arrêtée en avril 2014, on observe actuellement une activité persistante de coups de vent sous l’influence de laquelle El Niño continue de s’amplifier. Il semble maintenant très improbable que le phénomène s’affaiblisse.
El Niño : le temps sous influence
Un phénomène El Niño modifie toute la circulation atmosphérique et océanique, les précipitations et les températures de l’atmosphère et de l’océan. Il a des répercussions sur le climat de la planète, et plus particulièrement sur les pays de la zone Pacifique tropicale. Il est cependant difficile de quantifier précisément ces impacts car chaque El Niño est différent. D’autre part, autant il est possible de prévoir les modifications du climat à grande échelle, autant il est très délicat d’arriver à prévoir les impacts précis d’un El Niño à l’échelle régionale, surtout dans les îles hautes où les montagnes perturbent substantiellement les régimes atmosphériques alentour.
On peut néanmoins dire d’une manière générale que, lors de la plupart des El Niño, il pleut moins dans le Pacifique Ouest : la région indonésienne et la côte est de l’Australie connaissent des sécheresses importantes. Au contraire, il pleut davantage vers la façade Pacifique de l’Amérique du Sud, où inondations et glissements de terrain sont fréquents (ex. au Pérou et en Equateur). La Zone de Convergence du Pacifique Sud (ZCPS), qui est la principale source de précipitations dans le Pacifique Sud-Ouest, se déplace vers le nord-est et avec elle se déplace la zone de formation des cyclones. Lors des El Niño très intenses, comme en 1997-1998 ou 1982-1983, des cyclones ont par exemple frappé la zone économique de la Polynésie française.
En Nouvelle-Calédonie, El Niño s’accompagne généralement d’un déficit de précipitations, particulièrement remarquable pendant la saison chaude, sur le nord de la Grande Terre et aux îles Loyauté. La figure 4 illustre que sur les 15 événements qui se sont produits depuis 1961, on en dénombre 11 (soit presque 3 sur 4) qui se sont accompagnés d'un temps moins pluvieux que la normale de décembre à février. Si El Niño se confirme cette année, le scénario le plus probable est donc que les pluies soient moins fréquentes et moins abondantes pour l’été 2015/2016, ce qui rendrait le temps en moyenne plus propice aux feux de forêt et défavorable aux activités agricoles. Par ailleurs, les températures minimales pourraient être anormalement basses et les régimes d’alizés forts plus fréquents en été.
Figure 4 : moyennes des écarts à la normale du cumul des précipitations relevées de décembre à février durant les 15 derniers épisodes El Niño. Période : 1961-2015.
Source : Service météorologique de la Nouvelle-Calédonie.