Cet article est tiré du communiqué de presse rédigé en collaboration avec l'IRD. |
Quelles sont les prévisions actuelles ?
Tous les signes précurseurs du retour d’El Niño sont là. Depuis plusieurs mois, les eaux de surface du Pacifique équatorial n’ont cessé de se réchauffer. Elles sont maintenant dans la bande équatoriale au-dessus de leur valeur saisonnière normale (0,5 °C à 1,5 °C), traduisant un El Niño naissant (Figure 1).
Figure 1 : Anomalies saisonnières de la température de surface de la mer (en °C) pour la période du 01/05/2014 au 05/05/2014. Les anomalies sont calculées selon les moyennes hebdomadaires sur la période de base de 1981 à 2010.
Les alizés équatoriaux se sont affaiblis, laissant place à des « coups de vent d’ouest » dans l’ouest du Pacifique au-dessus des eaux les plus chaudes. Et sous la surface, entre 100 et 200 m de profondeur, les températures de l’océan dans la bande équatoriale sont très supérieures à la moyenne (+4 à 6 °C), laissant présager un événement potentiellement intense.
Les dernières prévisions des modèles climatiques convergent : El Niño apparaît comme le scénario privilégié par plus de 75 % des modèles internationaux pour l’été 2014-2015. D’après la majorité de ces modèles (dont ceux de Météo-France), les conditions El Niño pourraient même être établies dès le trimestre actuel.
Néanmoins, des incertitudes demeurent sur l'intensité de cet El Niño, qui revêt pourtant un enjeu de taille. En 1997, un El Niño qui avait débuté comme celui-ci avait atteint une amplitude exceptionnelle et s’était poursuivi jusqu’en mai1998. Surnommé « l’El Niño du siècle », il avait provoqué des impacts climatiques et sociétaux beaucoup plus importants que les El Niño plus faibles qui ont suivi (en 2002-2003, 2004-2005, 2006-2007 et 2009-2010, le dernier en date), avec notamment des cyclones tropicaux atteignant la Polynésie française, fait exceptionnel. Mais pour savoir si le phénomène actuel prend le chemin d’un événement de type 1997-1998, il faudra patienter jusqu’à mi-juin et passer ce qu’on appelle « la barrière de prévision saisonnière ». Elle est ainsi dénommée car il est arrivé que des El Niño débutants s’affaiblissent en avril-mai jusqu’à disparaître. Pendant cette période cruciale, des phénomènes atmosphériques imprévisibles dans l’état actuel de nos connaissances peuvent aussi faire rebasculer le Pacifique vers des conditions neutres.
Quelles sont les conséquences d'un El Niño ?
Un phénomène El Niño modifie toute la circulation atmosphérique et océanique, les précipitations et les températures de l’atmosphère et de l’océan*. Il a des répercussions sur le climat de la planète, mais plus particulièrement sur les pays de la zone Pacifique tropicale. Il est cependant difficile de quantifier précisément ces impacts car chaque El Niño est différent. D’autre part, autant il est possible de prévoir les modifications du climat à grande échelle, autant il est très délicat d’arriver à prévoir les impacts précis d’un El Niño à l’échelle régionale, surtout dans les îles hautes où les montagnes perturbent substantiellement les régimes atmosphériques alentour.
On peut néanmoins dire d’une manière générale que, lors de la plupart des El Niño, il pleut moins dans le Pacifique ouest : la région indonésienne et la côte est de l’Australie connaissent des sécheresses importantes. Au contraire, il pleut davantage vers la façade Pacifique de l’Amérique du sud, où inondations et glissements de terrain sont fréquents (ex au Pérou et en Equateur). La Zone de Convergence du Pacifique Sud (ZCPS), qui est la principale source de précipitations dans le Pacifique sud-ouest, se déplace vers le nord-est et avec elle se déplace la zone de formation des cyclones. Lors des El Niño très intenses, comme en 1997-1998 ou 1982-1983, des cyclones ont par exemple frappé la zone économique de la Polynésie française.
En Nouvelle-Calédonie, El Niño s’accompagne généralement d’un déficit de précipitations, particulièrement dans le nord de la Grande Terre et sur les îles Loyauté. Ce déficit entraîne un risque accru de sécheresse et augmente donc sérieusement les risques de feux. Si El Niño se confirme cette année, le déficit attendu pour l’été prochain pourrait être particulièrement grave et entraîner un risque accru de sécheresse, étant donné le déficit des précipitations de ces derniers mois qui a déjà sérieusement entamé les réserves en eau. Par ailleurs, les températures minimales pourraient être anormalement basses, et les régimes d’alizés forts plus fréquents en été.
* Voir les illustrations de l'Atlas de la Nouvelle-Calédonie - IRD Edition - 2012
Qu'en est-il du déficit de précipitations actuel ? Est-il dû à El Niño ?
Les conditions météorologiques des mois de mars et avril ont été très défavorables à la ressource en eau, générant des déficits pluviométriques dépassant les 90 % par rapport aux normales saisonnières. Les cumuls de pluies enregistrés sont partout très inférieurs à la normale. A Nouméa, au Mont-Dore, à Boulouparis, à Hienghène et à Houaïlou, les cumuls de pluies relevés ce mois-ci sont les plus faibles jamais mesurés pour un mois d’avril (Figure 2). Le bilan pluviométrique de ces trois derniers mois est donc déficitaire. Certes, les anomalies de précipitations sont encore généralement faibles sur la côte Ouest, mais elles revêtent déjà un caractère préoccupant sur la côte Est et aux îles Loyauté (Figure 2).
Figure 2 : Cumuls pluviométriques de février à avril 2014 et sévérité de la sécheresse météorologique observée (stations Météo-France).
Pour autant, dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut pas rejeter la faute de ce déficit de précipitations sur l’El Niño naissant. En effet, si l’El Niño continue à se développer, son influence sur les précipitations en Nouvelle-Calédonie ne devrait vraiment se faire sentir que lors de la prochaine saison chaude. Ce qui peut expliquer le déficit actuel des précipitations est la présence depuis plusieurs mois d'une zone anticyclonique très intense centrée sur la mer de Tasman, à l'ouest de la Nouvelle-Zélande.
Cela a généré 27 jours d'alizés en mars, le tout dans une masse d'air stable et sèche. Au vent constant et soutenu se sont ajoutées une forte insolation et des températures maximales avoisinant ou dépassant souvent les 30 °C l'après-midi, ce qui a accentué la sécheresse des sols. Pour mieux comprendre, il restera aux chercheurs à déterminer si la position de blocage de cet anticyclone peut être en effet lié à El Niño naissant et en particulier à la zone chaude centrée au niveau de l’équateur au nord de la Calédonie (Figure 1, dans "Quelles sont les prévisions actuelles ?).